LE DIALOGUE INTERRELIGIEUX
Pour
nous disciples de Jésus-Christ, le dialogue
interreligieux est une démarche très ancienne. Déjà
en germe dans l’Evangile, c’était une préoccupation
importante des premières fraternités chrétiennes.
Selon les lieux et les temps, cette dynamique a subi bien des aléas.
L’histoire est là pour stigmatiser les malentendus, les
erreurs, les faux pas mortifères… Mais, très près
de nous, le Concile Vatican II a réactivé cette valeur
et en a souligné toutes les dimensions. Ce
fut un nouveau souffle pour notre Institut missionnaire. Pour moi, ordonné
prêtre en 1968, cette ouverture voulue par l’Eglise a profondément
marqué ma démarche pastorale auprès d’hommes
et de femmes africains vivant une quête spirituelle dont j’avais
tout à découvrir. Je me trouvais plongé dans un
milieu marqué à la fois par la Religion locale et traditionnelle
et par l’Islam. Aussi ai-je pu faire mienne cette remarque de
l’un de mes maîtres, Claude Geffré :
« Un des premiers effets de l’activité missionnaire,
c’est la conversion du missionnaire lui-même. Le chrétien
n’est pas dans la situation de celui qui apporte tout à
quelqu’un qui ne sait rien. Il est aussi celui qui ‘reçoit’,
qui découvre à nouveau son identité chrétienne
alors qu’il est interpellé par d’autres religions,
d’autres cultures et d’autres manières de réaliser
sa vocation religieuse ».
Préoccupation
depuis les premières fraternités chrétiennes !
La question du salut des non-chrétiens est une véritable
interrogation pour celui qui marche à la suite de Jésus
et qui adhère au Christ comme Parole de Dieu.
L’histoire montre aisément qu’il y a un risque de
durcissement dans la démarche du chrétien lorsqu’il
va vers les autres. Aujourd’hui encore, on peut voir naître
des attitudes totalement anti-évangéliques comme cette
espèce de fatuité excluant tous ceux qui ne sont pas en
Eglise … Cette erreur confirme dans leur appréciation ceux
pour qui toutes les religions sont de même valeur, voire inutiles,
mauvaises ou dangereuses ! Et pourtant, pour un chrétien, «
il n’y a de salut qu’en Jésus-Christ, dont l’Eglise
est le signe visible ».
Une seconde conviction chrétienne est la certitude que «
Dieu est Amour et que tout homme est sauvé s’il participe
à une histoire qui est une histoire de salut ». Dès
lors, certains se demandent pourquoi il est toujours nécessaire
d’annoncer l’Evangile. Et de là à dénier
la mission de l’Eglise d’aller à la rencontre des
peuples, des cultures, des démarches spirituelles, il n’y
a qu’un pas trop souvent franchi.
Au milieu du deuxième siècle, saint Justin se prononçait
déjà clairement sur le salut de ceux qui ont vécu
avant le Christ : pour lui, il y a dans toute religion une présence
du Verbe de Dieu. Tout son ministère est ainsi guidé par
cette certitude ; il s’appuie fortement sur les valeurs ainsi
décryptées pour les prolonger par une annonce explicite
du Message de Jésus-Christ qui les amène à leur
plein épanouissement.
La déclaration « Nostra Aetate » du 28 octobre 1965
résume tout ce qui a été écrit pendant le
Concile Vatican II sur les « Relations de l’Eglise avec
les Religions non-chrétiennes ». Elle fut suivie bientôt
de nombreux évènements ou écrits, tels que la «
journée de prière d’Assise » innovée
le 27 octobre 1986, le document « Dialogue et Annonce »
(D.A.) du 20 juillet 1991 et la fondation de plusieurs Instituts de
Sciences et Théologie des Religions, (ISTR).
Voici le souhait que Jean-Paul II adressait aux 130 responsables religieux
de toutes les religions du monde réunis à Assise :
« Dans la bataille pour la paix, l’humanité,
avec sa grande diversité même, doit puiser aux sources
les plus profondes et les plus vivifiantes où la conscience se
forme et sur lesquelles se fonde l’agir moral des hommes ».
Annonce et respect !
Comment lier et concilier annonce de l’Evangile et respect de
la démarche des autres religions, de la quête spirituelle
de tout homme ? La réponse peut être donnée en deux
temps, sur le plan théologique et dans une ouverture pastorale.
Il est important de bien connaître les valeurs vécues par
les deux interlocuteurs. Le chrétien a le devoir d’affirmer
sa propre identité, mais aussi d’apprendre à discerner
qui est l’autre. Le baptisé sait que « la mission
de l’Eglise est de proclamer le Royaume de Dieu établi
sur terre en Jésus-Christ, par sa vie, sa mort et sa résurrection,
comme le don décisif et universel de salut que Dieu fait au monde
». ( D.A. n° 58)
Et cette annonce, il est invité à la vivre en pasteur
(D.A n° 70) avec les qualités même de l’Evangile,
c’est-à-dire dans l’écoute de l’Esprit
du Seigneur, fidèle à l’enseignement reçu
du Christ et en Eglise, avec humilité, dans le respect de la
présence et de l’action de Dieu en tout homme et en chaque
religion, dans la dynamique du dialogue qui purifie et illumine, et
enfin en étant attentif à la réalité culturelle
de l’interlocuteur.
Au delà d’une conclusion ….
Notre société des Missions Africaines, depuis 150 ans,
a vécu des va-et-vient entre l’écoute et le monologue,
entre le respect et l’ignorance. Aujourd’hui, l’Eglise
en Afrique est africaine, elle apprend à écouter les hommes,
à respecter les peuples, les cultures, les traditions, elle apprend
aussi à dire Jésus-Christ à tout homme.
Cette dimension du dialogue est partie intégrante de l’Eglise
en marche. Les Actes des Apôtres actuels continuent de s’enrichir
de ces rencontres entre hommes, entre cultures, entre traditions spirituelles.
Les Actes s’écrivent au jour le jour, l’Esprit est
à l’œuvre.
1- Pour les chrétiens le dialogue
entre les confessions chrétiennes a pris la dénomination
d’œcuménisme, ainsi lorsque la démarche s’élargit
à la rencontre avec toutes les quêtes spirituelles c’est
le terme « dialogue interreligieux » qui est utilisé.
Michel
Bonemaison sma
Lyon le 5 octobre 2006
"L'Appel
de l’Afrique N° 227" , décembre 2006
- Le dialogue interreligieux. - article de fond -
Michel Bonemaison
Au
Musée Africain le deuxième étage veut exprimer
la rencontre entre les groupes sociaux, entre les pays, entre les continents.
Cette rencontre se réalise au niveau des échanges commerciaux,
dans le domaine de la politique, à travers les réalités
administratives, la santé, l’éducation, la dimension
militaire. Un des aspects que l’on retrouve à chaque instant
est la place et l’influence de la « religion », qu’elle
soit ancestrale ou venue de l’extérieur. C’est ainsi
que se côtoient aujourd’hui les Religions locales dites
Traditionnelles, les différentes tendances de l’Islam ou
la multiplicité des confessions Chrétiennes, sans oublier
les Mouvements religieux qui fleurissent de manière étonnante
sur cette terre d’Afrique.
Une
mosquée au Soudan Ouidah, Sanctuaire
vodoun et cathédrale
Deux tableaux
de Jacques Bertho au musée africain.
Nous
devons deux prises de vue très suggestives aux archives photographiques
de Jacques Bertho ; elles ont été réalisées
en 1950. Prêtre des Missions Africaines il fut directeur de l’enseignement
catholique pour l’Afrique 0ccidentale Française. L’une
représente une mosquée au Soudan, et l’autre, en
premier plan le temple sacré du python à Ouidah et, en
vis à vis, la première basilique catholique de l’actuel
Bénin. Trois lieux de culte différents, trois démarches
spirituelles distinctes sous le même ciel !
Permettez-moi de narrer brièvement un fait de vie quasi quotidien
: en milieu rural il est fréquent de se retrouver accroupis assemblés
autour de la même calebasse contenant la pâte que l’on
prend avec trois doigts pour en faire une boule que l’on trempe
dans la sauce. Le deuxième récipient, celui de la sauce
est aussi commun à tout le petit groupe en train de se restaurer.
Manger ensemble se fait pratiquement en silence, la discussion précède
et suit le repas. Mais ce que je veux souligner c’est que rien
ne différencie les commensaux, ni le travail, ni le rang social,
ni la religion.
Une autre anecdote, plus personnelle celle-là ! Accueilli je
l’ai été au delà de ce que je pouvais imaginer.
Le vieux chef était un sage, on l’appelait couramment «
celui qui répare les pots cassés ». Il fit de moi
son fils, le deuxième, s’il vous plaît. Le fils aîné
devait hériter de la chefferie de terre et assurer le culte ancestral.
Les deux autres fils, eux qui m’avaient introduits auprès
de leur père, se retrouvaient tout bonnement troisième
et quatrième. Un jour vint un autre « étranger ».
Il fut si bien adopté par la famille qu’on lui offrit d’épouser
l’une des filles de la maison, il devint l’un des gendres.
Il était missionnaire musulman, j’étais missionnaire
catholique. Que de fois, tous les cinq, avons-nous partagé le
même repas, et discuté très amicalement de religion.
Dans le diocèse, notre bonne maîtrise de la langue a ouvert
bien des portes et bien des cœurs. Nous étions invités
souvent pour les cérémonies dans les lieux sacrés
de la Tradition locale ; nous étions reçus régulièrement
dans les mosquées à l’occasion des fêtes de
l’Islam, et à notre tour nous pouvions accueillir tous
les habitants d’un village pour les prières des grandes
fêtes chrétiennes. Un jour, appelé à présider
les funérailles traditionnelles du chef de terre, je rejoignais
une foule immense rassemblée au cœur de la forêt.
Alors que le chef du protocole me donnait la parole, j’ai entonné
un cantique pensant que quelques chrétiens seraient là
et chanteraient avec moi : « Nous nous retrouverons demain au
ciel, là où le Seigneur nous rassemble ». Quelle
ne fut pas ma stupéfaction de constater que tous, sans exception,
chantaient de tout leur cœur, clamant la même espérance.
Je terminerai en soulignant que, lorsque une communauté chrétienne
engage une action sociale, elle en est le moteur, et ceux qui participent
se mettent au service de l’autre homme ou communauté humaine
sans référence à son appartenance religieuse, ni
à la caractéristique de leur propre démarche spirituelle.
Cette mosquée du Soudan, ce temple vodoun du Bénin, cette
église chrétienne, sont exposés sur un même
panneau. Si le lien qui s’impose à notre regard pouvait
nous accompagner quand nous rencontrons les autres, pour être
avec eux constructeurs de Paix ! Le point de départ n’est-il
pas le respect de la quête spirituelle de l’autre, quel
qu’en soit la religion?