article
paru dans M.I.S.S.I. mars 2006
ACTUALITÉ
DE LA MISSION
Une
perception de la mission aujourd’hui.
Le
terme missionnaire semble véhiculer des clichés bien surannés
: le casque colonial, la barbe, la moto, et pire, le prosélytisme
! Que de fois l’on entend affirmer tout de go : " vous avez
détruit les cultures africaines, vous avez imposé votre
religion ! "
Dans le même temps, qui n’est pas investi
d’une " mission " politique, diplomatique, de développement,
ou sociale et caritative, toujours reconnue d’utilité publique
? Pourquoi une mission d’ordre spirituel ne serait-elle pas tout
aussi honorable ? Si l’on apprécie un peu les données
de l’histoire, quel que soit le domaine que l’on aborde,
on sait très bien qu’il y a un danger à éviter
absolument, c’est celui des jugements anachroniques. C’est
vrai que chaque époque commet ses erreurs et agit dans l’imperfection
; combien est-il important de dénoncer ces égarements
!
L’origine
de la mission de l’Eglise.
Pour
nous, chrétiens, la mission a son fondement en Jésus de
Nazareth ; lui-même tient sa mission du Père. Envoyé
du Père, il a pour projet de dire que Dieu est Amour ; il réalise
ce projet en étant lui-même amour ; plein de respect pour
chacun il se fait le frère de tous.
A l’imitation de ce Jésus de Nazareth, le
disciple est invité à se mettre en route, à aller
à la rencontre de l’autre, à sortir de lui-même
pour témoigner d’un amour plus grand que lui, d’un
amour qui le dépasse et qui englobe toute l’humanité.
Ce vécu de la mission est une des exigences qui découle
du baptême offert par la famille du Ressuscité. Vivre ainsi
la fraternité en Christ devrait être le pain quotidien
de chaque chrétien !
Depuis
sa fondation l’Eglise a envoyé ses fidèles aux quatre
coins du monde. Aujourd’hui encore elle nous invite à vivre
la fraternité chrétienne en allant au-delà des
réalités du quotidien, en quittant notre culture ; elle
nous permet d’aller à la rencontre de l’étranger
qui vit chez nous. Apprendre à rencontrer l’autre, en l’accueillant
dans ses différences, voilà une des dimensions de la mission.
Cheminer avec lui sur nos sentiers ; mais aussi aller prendre la route
ailleurs, apprenant à cheminer sur les chemins des autres ! Prendre
leur rythme, emboîter leur pas et savoir attendre leur questionnement
pour être un jour invité à dire les valeurs qui
nous animent, c’est une sortie de nous-mêmes à laquelle
nous convie notre baptême.
L’Eglise continue d’envoyer les siens hors
de leur terre natale à la rencontre des peuples, des cultures,
des religions.
Préparé à la mission de l’Eglise
au sein de ma famille missionnaire, les missions africaines de Lyon
sma, j’ai eu le bonheur, de 1965 à 1998, de partager les
joies, les soucis, les peines, les espoirs de milliers d’hommes
et de femmes, en Afrique et en Amérique latine. Pour moi, bonheurs
et difficultés, tout ensemble, furent l’occasion de mûrir,
de grandir, de construire dans la paix et l’espérance.
Une grande joie s’y ajoute, celle d’avoir vu naître
la fraternité au nom de Jésus, l’Eglise.
Aujourd’hui c’est toute cette richesse que
la SMA m’invite à transmettre en me confiant la valorisation
de l’un de ses joyaux : le Musée Africain de Lyon.
Le
Musée Africain une histoire d’amour.
Né de la volonté des fondateurs de la
SMA, ce Musée propose aujourd’hui plus de 2000 objets à
la contemplation des visiteurs, des étudiants, des chercheurs,
des familles, des écoles, et des collèges, avec pour appui
scientifique une bibliothèque spécialisée. "
Ramenez des objets qui fassent connaître la manière de
vivre de ceux qui vous accueillen " demandait le Père Augustin
Planque à ses premiers missionnaires. C’est ainsi que beaucoup
rapportèrent ce que leur offraient les Africains, en signe d’amitié
et de confiance. Une deuxième étape permettra de constituer
progressivement ces riches collections: dans un souci fraternel les
pères ont déposé ces " cadeaux " à
la maison mère, cours Gambetta à Lyon.
C’est avec chacun de vous, visiteurs, que nous
vivons la nouvelle étape en apprenant à écouter
les cultures que représentent ces objets, en accueillant les
sagesses qu’ils nous proposent, en nous préparant à
vivre en harmonie avec les populations qui rejoignent nos contrées
natales. Voilà à nouveau une belle histoire d’amour
en perspective !
Un visage
de la mission de l’Eglise.
Chaque
visiteur vient avec son projet, glanant ce qui peut l’enrichir,
avec une requête à sa mesure. Nous sommes là pour
l’accueil, pour l’accompagnement avec pour support à
nos paroles des objets culturels des peuples de l’Afrique Occidentale
subsaharienne. Nous essayons de partager des valeurs sur le plan humain;
si l’on aborde aussi la dimension spirituelle des traditions africaines,
ce qui occupe parfois nos propos, ce sont les cheminements des hommes
dans leur quête vers l’au-delà : les Religions Traditionnelles,
les Islams, les Christianismes … Le Musée devient alors
un lieu où l’on manifeste un grand respect de la démarche
de chacun.
En équipe nous accueillons les visiteurs ;
nous venons d’horizons bien différents, toutes générations
confondues. Notre contact avec les cultures africaines est lui aussi
réellement diversifié, tandis que notre souci commun est
de dire l’Afrique et les Africains dans leur volonté de
construire leur avenir. Cette ouverture suppose de la part de tous un
effort de formation. Nous nous en donnons les moyens au sein d’une
association déjà vieille de quinze ans : l’association
de gestion du musée africain de Lyon, AGMAL.
A l’aide de quelques vitrines nous en venons
aux questions les plus récurrentes chez les visiteurs.
L’ESCLAVAGE : une blessure toujours ouverte !
Des entraves de pieds et de cou, un pistolet et des
cornes à poudre, de la belle pacotille colliers de perles et
potiches, voilà qui évoque sobrement l’horreur de
rapports humains, hier ! Ne convient-il pas d’en tenir compte
aujourd’hui pour apprendre à construire ensemble avec respect
et discernement ?
LA COLONISATION :
Une porte de maison du pays Baoulé (Côte
d’Ivoire) exprime une sagesse par la disproportion des personnages
sculptés dans le bois. En effet l’étranger qui vient
à nous doit être animé par un message important
s’il a vécu un tel déplacement. L’hôte
est à l’honneur au centre et il est immense tandis que
les deux porteurs, Africains, sont petits et tout à son service,
prêts à accueillir la parole de sagesse qui est venue à
eux. Que symbolise alors la hyène ? Belle page d’histoire,
voire de philosophie !
Le pouvoir ou l’administration, l’organisation
militaire et l’apport de la religion chrétienne. Le message
valait-il le déplacement ? Quelles valeurs ont été
recuesreçues, voire mises en œuvre ? Chaque élément
bien remis dans son contexte facilite le questionnement.
L’AU-DELA
Le visiteur est immédiatement alerté
par la symbolique sculptée, peinte ou pyrogravée sur chacun
des objets les plus usuels : plusieurs dimensions s’entrecroisent,
la matérialité du geste à accomplir et l’au
delà du regard se côtoient. Que ce soit à la maison,
à l’atelier, aux champs, à la pêche, à
la chasse il en est ainsi ; nous sommes en Afrique !
Juste à côté de la porte Baoulé
un ensemble de portes de greniers : par leur message sur la vie transmise
et entretenue par les ancêtres, elles semblent écrire une
page de métaphysique, une vision sur l’avenir !
C’est de ce dialogue permanent avec l’au-delà, voire
avec la divinité, que parle le troisième niveau, entre
statuettes et masques, serviteurs de tous les grands moments de la vie
sociale et familiale. J’aimerais vous dire " Venez et Voyez
".
L’INCULTURATION
C’est dans ce domaine " du dialogue avec
l’invisible " que quelques magnifiques sculptures apportent
un élément de réponse au bien-fondé de la
rencontre des cultures ; elle n’est pas qu’un choc ! Quelle
joie de pouvoir admirer l’inventivité due à l’apport
mutuel; écoutons les personnages adeptes du Vodoun et allons
contempler la statuette travaillée dans le bois par l’artiste
de Kétou pour dire La Vierge du Fiat. Quelle évidence
: un message nouveau est transmis dans le langage habituel des populations
locales !
Tout simplement pour clamer qu’un visage de la mission aujourd’hui
peut passer par la muséographie.
Michel
Bonemaison sma
Directeur du Musée Africain
Article paru dans la revue MISSI
(Magazine d'information Spirituelle et de Solidarité
Internationale)
31, rue de Lyon, 69002 Lyon, n° 68